Parce que se trimballer un gros appareil de pro avec objectif, même si ça le fait grave pour jouer au journaliste devant les gens, c'est relou (dans le sens premier du terme) en balade, j'ai pris ma mini-caméra pour immortaliser ma mini-rando dans les hauteurs de Gstaad, vers Lauenen.
Soleil de plomb, panorama époustouflant, sérénité de la mare alpine ou encore chien fou, une balade de 2h et demie qui en vaut le détour. Prendre le Postauto depuis Gstaad et descendre à Lauenen Rote Brücke pour faire la boucle autour du lac. Chemin large et facile la plupart du temps.
Mon très cher Charlie, nous allons nous séparer. Il est temps que tu redeviennes toi et que je redevienne moi. Retourne dans le cœur des enfants, là où est
ta place. De mon côté, si je te garderai encore longtemps dans ma mémoire, je dois apprendre à vivre sans toi. Sur la route, pendant six semaines, j’ai connu des hauts et des bas. Tu m’as bien aidé, quand dans ma tête, le doute s’est installé. Nous nous sommes bien amusés, aussi, quand la confiance nous a transporté.
C’est fou comme un rien peut tout transformer. « Comprends-tu qu’il faut un rien de trop pour être ? » dit Shakespeare dans le Roi Lear. Ne faudrait-il pas comprendre qu’il suffit aussi d’un rien de moins pour être moins que rien ?
Sans pour autant être tout à fait certain de la véracité d’une vie et de l’authenticité du bonheur, j’ai appris avec toi où chercher quelques vérités. C’est d’abord du côté de l’amitié qu’il m’a semblé trouver une confortable sérénité. Ensuite bien sûr, quand on a connu quelques sentiments d’amour, on ne peut pas nier qu’il y a dans cette relation une extase véritable. Charlie, au bout d’une digue et sur une plage face aux vagues du pacifique, à n’en pas douter j’ai connu la vérité. Merci, déjà tout petit, de me l’avoir insufflé.
Dernier cri depuis les berges de Vevey où Charlie Chaplin, figé, regarde l'horizon : des cygnes fredonnent « Seize the day » de Wax Tailor. Un bon prétexte pour s'arrêter.
Comprendre la Suisse m'a permis d'essayer de mieux percevoir le monde, aussi « bateau » que cela puisse paraître. Retour au point de départ après plus de 1000 kilomètres sur un biclou jaune facteur, plus de 18 de résidences au fil du parcours, et un nombre inestimable de rencontres fortuites.
La diversité des échanges partagés le temps d'un simple renseignement ou de quelques jours sous le même toit a constitué l’intérêt ce voyage. Avec comme alibi, ce blog où je n'ai pu retransmettre qu'une infime partie de la richesse des récits écoutés. Toutes les histoires m'ont passionnées, même celles que je ne pensais pas être prête à entendre, car trop éloignées de mon point de vue. Faisant fi de mes préjugés, je me suis défaite d'idées préconçues. Me perdant parfois, pour mieux comprendre.
J'ai été agréablement surprise de l'hospitalité de ces nombreux Suisses d'ici et d'ailleurs, ouverts au voyage. J'ai savouré au passage quelques livres de leur bibliothèque. Ramuz, Dunant, Bouvier, Maillart : une diversité littéraire sur leur étagère qui de temps en temps, parlait pour eux. Pourtant, en pédalant, je me demandais ce qui me dérangeait dans ce confort qu'offre un pays tel que la Suisse. Peut être une gêne venant d'enjeux internationaux prenant place entre ces montagnes. Peut être la jalousie de ne pas vivre au cœur d'un espace naturel aussi riche.
Voyager en vélo m'a permis de ne pas seulement être dans l'attente mais de devenir active. Croyant avoir le temps, je me suis rendu compte que cette notion reste relative. On ne l'a jamais.
Mais on peut essayer de prendre le temps. Et il me faudra du temps pour digérer ces six semaines. Prendre du recul. Avant de repartir de plus belle, à kayak, à dos de dromadaire, en trottinette ou à cloche-pied.
Mille mercis à Manon pour son accueil spontané, Thomas pour son vélo jaune, Simone et Patrick pour m'avoir fait découvrir la Suisse traditionnelle autour de Frutigen, à Bao et son organisation de coordinateur de l'association des étudiants chinois de Zurich, à Florian et Lucia et leur petite Victoria pour leur calme apaisant, à Hui pour ses roses et à Liu pour cette bière sous 35 degrés, aux instituteurs de Mezinghen pour m'avoir raisonné le soir de leur dernier jour de classe, aux Fantastic4 devenus Fantastic3 à Zug en particulier à Simon pour sa bouteille d'eau qui a parcouru toute la Suisse.
Merci à Eva pour son ouverture culturelle, à l'Egyptien du bus, à l'énigmatique Allemand de Aarau, à Remco et sa femme pour m'avoir accueilli comme une reine, à Céline que j'espère revoir bientôt et à toute sa belle-famille et ses voisins, à toute la famille Rodriguez pour leur hospitalité, au Grand marquis pour mener jusqu'au bout ses idées folles et Santiago pour m'avoir prêté sa chambre.
Merci à Thomas pour faire partager sa passion, même à Yverdon, à ses voisins Paola et Victor pour leur goût du voyage, à Nadia pour ses conseils et son suivi toujours top, à Fanny pour avoir retardé ses vacances, à Basile pour son engagement, à Boubba et Iman pour ce thé à la menthe, à Cécile pour cette ascension à Moudon, aux familles de demandeurs d'asile de Moudon et spécialement au mamans pour leur générosité, à l'inclassable Claude, aux kebabs de Sezgin, à l'accueil portugais de Manu, à Magadis pour la visite de sa ferme et à l'énergie de Yann, à toute la fabuleuse famille d'Angelo, sa femme camerounaise et ses enfants colombiens, ainsi que son éloge de la bicyclette.
Merci à Alejandro et ses colocs Katy, Jane et Felix. Merci à Pauline pour son pep's et à ses voisins tessinois pour le bbq du 1er août, à Orphée pour ce temps de discussion, à Adjim et à Marc pour ces longs débats, à Célia pour ce bain lémanique, à Richard pour le petit vin blanc, à Omar pour être venu avec des ailes et à Benoît pour sa disponibilité, à Julie et ses 18 colocs, à Yvette pour sa musique, à Léa pour sa chambre, à Nir pour les sushis et à Sarah Jane pour sa bonne humeur.
Merci à Jenny pour son engagement et sa disponibilité, à Radu pour sa patience et son oeil, à sa coloc Daira et à ses amies Ana et Valentina pour leur curiosité et leur aide, à Julia pour m'avoir aiguillé au pied levé, à Marie-Thérèse pour ce moment de convivialité autour de fromages, à Jacky pour son optimisme et à Marion sa femme, à Yves pour ses opinions pas si fous et à la délicatesse de Dominique, à Jean-Yves pour son entrain.
Merci à Anne et Laurent pour leur chasse aux fautes d’orthographe, et à Manon, Marianne, Raphaël et Thomas avec qui nous avons partagé, virtuellement, ce voyage.
Et puis, et puis... tous ces autres compagnons de voyage que ma mémoire de poisson rouge n'a pas énuméré, le temps d'attendre un covoiturage pour rentrer sur l'autre rive du lac, en France.
Dans un écrin de nature époustouflant, le chalet d’alpage Lapisa traverse les époques sans une ride. Cet été, un civiliste et un « Boueb » sont venus porter main forte aux activités quotidiennes de la famille Marclay. Immersion.
Après quarante-cinq minutes de marche depuis l’arrivée du téléphérique de Champéry, les randonneurs qui arrivent à Lapisa ont le souffle coupé. Situé à 1790 mètres d’altitude, ce chalet d’alpage se présente comme un vaisseau solitaire sur une mer de vert pâturage. Tout autour de cette bâtisse de pierre construite en 1840, les montagnes se dressent comme un rempart. En face, si on tend la main on croirait pouvoir toucher l’imposant massif des dents blanches. Fin mai, depuis deux générations, la famille Marclay, y emmène ses dix-neuf vaches et ses vingt-trois chèvres brouter l’herbe printanière. Pour aider la famille, Daniel Timoner, civiliste de 25 ans et Alexis Daves, 16 ans, passent une partie de l’été à l’alpage.
Chasser les vaches. A 5h45 du matin, Daniel, munis d’un bâton de chevrier, attaque la pente qui le conduit dans les hauts pâturages. « Il faut aller chercher les vaches qui sont montées là où l’herbe est encore abondante pour les emmener à la traite mobile ». Dans le jargon on appelle ça « chasser les vaches ». À cette heure matinale, la température se situe régulièrement en dessous des dix degrés. La terre, labourée par les bêtes, s’est transformée en un champ de boue. Ces conditions pénibles ne rebutent pas le jeune homme originaire de la ville de Genève. Tout juste rentré de Hong-Kong où il a terminé un Master en Science Politiques, Daniel prend goût au mode de vie paysan. Il y a encore quelques jours, ce civiliste prévoyait de repartir à Pékin pour y faire un doctorat. Finalement, il terminera son été à l’alpage et par la même occasion son devoir civique. Dans la cave où sont stockés les fromages, il explique les raisons qui l’ont motivé à rester : «C’est passionnant de travailler à la production de produits traditionnels. Je découvre un univers auquel je suis rarement confronté». Pendant ce temps, Alexis, fils d’ancien paysan, ramène les chèvres pour la traite. Le reste de l’année, ce « Boueb », nom patois donné aux jeunes qui passent leurs vacances à l’alpage, suit une formation de charpentier. « J’aurais aimé me lancer dans la paysannerie de montagne mais on s’en sort pas avec le prix des produits. La plupart de mes copains, en bas, a choisi une filière plus sûre » explique-t-il dans la pénombre et le relent de purin qui règne dans l’écurie.
S’ouvrir au commerce. Assis autour de la table à manger, en respirant l’odeur de la fondue en préparation Hubert et Maureen Marclay en racontent un peu plus sur l’histoire de ce chalet d’alpage. Ancien refuge pour contrebandiers, le Lapisa a su se réinventer. Le paysan de 36 ans explique qu’il y a encore deux générations les familles paysannes de montagne vivaient quasiment en autarcie. La production de lait et de fromage était presque entièrement consacrée à la consommation du ménage. « Au fil du temps, avec l’augmentation des coûts lié aux machines et à l’énergie mais aussi le paiement des assurances, il a progressivement fallu agrandir notre commerce». C’est d’abord la maman d’Hubert qui a obtenu un diplôme de fromagère, passion qu’elle a ensuite transmise à son fils. Au début des années nonante, la famille se lance même dans la restauration. Les Marclay aménagent le Lapisa et ouvre une cantine qui fait le bonheur des randonneurs en été et réchauffe les skieurs en hiver. « On a la chance de pouvoir profiter du passage des touristes pendant toute l’année. Certains passent même la nuit au gîte » explique Maureen, 26 ans, originaire de Murat. Depuis maintenant quatre ans, le couple Marclay continue d’écrire l’histoire du Lapisa et de la transmettre à leurs deux fils, Antoine (2 ans) et Henry (3 ans et demi) qui s’en vont déjà chasser les vaches là-haut dans les pâturages.
Une vue sur les sommets enneigés du Valais depuis un lit couleur lavande et un poème « Partir » affiché au mur. Sur une table, des crayons de couleur bien taillés avec un bloc de feuilles blanches. Dans une assiette, un melon et des chocolats, un petit jus de fruit dans le frigo et une serviette de toilette toute douce. Et quelques livres, dont celui de deux randonneurs ayant traversé l'Himalaya, avec une épigraphe empruntée à Rousseau : "Je ne conçois qu'une manière de voyager plus agréable que d'aller à cheval, c'est d'aller à pied."
C'est la première chose que relève Yves. « La prochaine fois, fais le chemin à pied ! » Je ne sais comment le remercier pour cet hâvre de paix : "tu le feras la prochaine fois que tu accueilleras quelqu'un chez toi", me conseille t-il en me racontant le couscous partagé dans une cahute au milieu du désert en plein ramadan, lors d'un voyage à vélo jusqu'à Bamako.
Quand certains parleraient de pessimisme ou de cynisme, lui se décrit comme réaliste. « Pinailleur », disent ses amis. Une réflexion intellectuelle que cet apiculteur butine dans des lectures au fond d'un pré, au bout d'un chemin de Montana réservé aux initiés.
Au delà de sa fascination pour l'organisation des abeilles, « dans des essaims que les japonais ont su conserver et qui sont interdits ici », Yves se passionne pour la science fiction après avoir perdu le goût de la poésie. Son film fétiche, "Mulholland drive" de David Lynch.
Dominique, sa femme, est là pour adoucir ses phrases ponctuées de « Je n'sais pas si tu vois ce que je veux dire » ou « Non mais tu comprends là ? »
« Nous étions la dernière génération à avoir un peu d'espace », lance t-il évasivement en regardant la lune se dévoiler derrière les montagnes. Pour lui, la politique globale que l'on subi aujourd'hui est la même que celle de Ceausescu qui prenait les terres aux agriculteurs et les « mettait en HLM ». « L'homme n'est pas fait pour vivre dans ces espaces citadins fermés », indique t-il en prenant l'exemple de ses petits enfants résidant à Genève.
Ses deux enfants, Damien et Chloé ont grandi dans les prés, pendant qu'Yves cultivait des plantes, « devenant esclave de Ricola, pour 2 ou 3 francs de l'heure ». Actuellement, les plantes médicinales non homologués suscitent l'inquiètude des agriculteurs comme lui. « Les industries pharmaceutiques veulent remplacer le naturel par des produits de synthèse. » Le scénario du film "Soleil vert" ? « On y est déjà », affirme t-il.
Nous sommes loin du thème de l'agriculture. Mais dernière réflexion du soir pour la route : monde réel ou virtuel ? « Le franc est trop fort. Pouf, on appuie sur un bouton et on le baisse... Tu imagines tout ce que l'on peut contrôler avec ça. Des foules entières sans qu'elles ne s'en aperçoivent. » Et de citer le virus H1N1. « Tu y crois toi ? » L'expression "Info ou intox" serait-elle un abus de langage dérivé d'information ou désinformation ?
Les anglophone du canton de Genève sont-ils vraiment hermétiques à la langue française ? Ou serait-ce Genève, ville réputée pour ses nombreux expatriés, qui use de l'Anglais afin de séduire le tiers de sa population, d'origine étrangère ? Morceaux choisis, to take away.
« Welcome » accueille, avec une politesse so british, l'arrêt de bus de Cologny. Depuis les hauteurs de la rive gauche, la terrasse d'une auberge chic offre un panorama sur Genève, du jardin anglais au quai Wilson, où la fête foraine bat son plein. Côté village, une chaîne américaine et un magasin pour toutou à froufrou « J'adore my dog » font face à l'unique épicerie du coin.
Dans les rayons de la boutique locale, une large gamme de biscuits britanniques à prix suisse. A la caisse, une Anglaise s'offusque : « 60 Francs pour ce bout de viande et trois crackers ? » Et la même cliente de commenter ses exploits sur le court de tennis, avec son voisin et compatriote : « J'ai donné une carte de visite, se félicite t-elle, de quoi gagner mon après-midi, malgré un mauvais match. »
Un autre monde, comme le décrit, perplexe, Fanny, du bureau d'intégration du canton : « Les Anglophones appartiennent à une communauté étrangère à part en Suisse. Nous n'arrivons pas à dialoguer avec eux sur tout l'arc lémanique car ils ont leurs propres réseaux, clubs de sport, écoles, magasins... »
Pourtant, Genève, siège des grandes organisations internationales et fief des multinationales qui y créées près de 57 000 emplois dans le secteur privé, accueille ce monde fortuné avec des projets sur-mesure tel que l'ouverture de quatre écoles internationales anglophones supplémentaires.
Sur les devantures de la plupart des magasins de la ville, les horaires d'ouverture sont anglicisées. Dans la rue, lorsqu'il s'agit d'allécher le client britannique ou expat', les publicités vendent des vacances de rêves in english. Jusqu'à, dans certains bars ou boutiques, souligner aux francophones leur ignorance.
Dans un duty free proche des Nations unis, un vendeur recale des touristes trop curieux : « Vous ne savez pas lire ? » demande t-il en anglais. « For diplomats », mentionne l'enseigne à l'entrée du magasin.
« L'expat anglophone » est une cible marketing prisée à Genève. De ce constat est né Glocals, un réseau internet financé par trois firmes internationales, qui met en lien les expatriés de la ville. Sur l'interface en anglais, les internationaux se donnent rendez vous ou content leur expérience genevoises. Son créateur, Nir souhaite dynamiser la vie locale pour les internationaux. Après douze ans à Genève, lui parle encore anglais à la maison comme au travail. Depuis cinq ans, il aide les expat' dans son cas à trouver the-place-to-be, rarement mélangé aux Suisse, « dans une ville à la nightlife pas toujours folle pour les jeunes internationaux », précise t-il entre deux bouchées de sushi.
Sarah-Jane, membre de Glocals et « nany » originaire du Kent admet : « Il y a une sorte de paresse anglaise pour les langues. Surtout parce que pour nous, apprendre une langue étrangère n'est pas une nécessité. » Arrivée en 2003, cette trentenaire a vu Genève devenir anglophile. Alors maintenant, elle l'avoue, au lieu de faire l'effort de parler français, elle prend son meilleur accent frenchy et demande : « vous parlez anglais ? ». Surtout quand sur les bords du lac, un charmant agent de l'office de tourisme se balade avec un T-shirt flashy où il est écrit :« Need help ? ». Sarah-Jane écoute de la musique anglaise sur les scènes des fêtes de Genève, travaille en anglais, regarde des séries américaines, va au théâtre en anglais, sort avec des expats qui ont l'habitude des « after work » dans des pubs comme ils le feraient à Londres ou New York. « Alors pourquoi apprendre le français ? »
« Pour l'ouverture culturelle et ne pas se démarquer dans la rue », rétorque Jane, étasunienne. Cette étudiante en design vit dans une coloc internationale où ils parlent théoriquement le français, souvent le franglish ou l'anglais.
En partie dû à quelques Suisses cosmopolites qui y voient l'opportunité d'entretenir leurs acquis. Mais aussi à cause de Katy, autre colocataire londonienne et doctorante en biologie, qui ne voit pas l'intérêt d'apprendre une langue étrangère. En buvant un thé, elle précise : « Je ne suis là que pour les études, je ne vais pas faire ma vie en Suisse alors de simples bases en français pour survivre sont suffisantes. »
Sur les berges du Rhône, en s'éloignant du centre ville, la langue de Shakespeare prend le large et laisse place aux lieux alternatifs. Mais ici encore, les quelques punks près du centre culturel autogéré « l'Usine » utilisent le signe anarchiste from London.
A Chiasso, la saisie de faux papiers d’identité a augmenté de 66% en un mois. Le taux de requérants d’asile ne faiblit tou-Marianne jours pas.
9h du matin, à la gare de Chiasso, ville frontière au sud du Tessin. Un homme est arrêté au sortir du train en provenance de Milan. Son passeport bulgare, pourtant muni de tampons et visas officiels indiens, est un faux. Originaire du Bangladesh, l’homme a payé 3000 euros pour la contrefaçon.
Fouillé par les gardes-frontières, il demande l’asile pour gagner quelques semaines. Il ramasse lentement ses deux sacs de voyage avant d’être escorté par deux gardes-frontières vers le Centre d’enregistrement et de procédure, un bâtiment gris à l’allure carcérale à quelques mètres de la gare.
Les faux passeports sont le nouvel obstacle des 300 gardes-frontières tessinois. Le mois dernier, plus de 50 documents factices ont été interceptés à Chiasso, contre 30 habituellement. «Pour venir en Suisse, il faut un passeport, un permis de séjour et un titre de voyage valables», explique Davide Bassi, porte-parole des gardes-frontières tessinois. «Depuis peu, des faussaires en Italie fournissent un multipack de ces trois papiers falsifiés.»
Les passeports grecs, roumains, bulgares ou italiens sont les plus imités car moins chers à obtenir. Une fausse carte d’identité italienne par exemple s’achète pour 100 euros. Les immigrés veillent aussi à choisir un papier d’identité plausible avec leur physionomie: «Un Nigérian ne se présente pas avec un passeport suédois» souligne Davide Bassi.
Huitante pour cent des clandestins arrêtés à la douane n’ont aucun document d’identité. Quinze pour cent présentent un faux passeport. Leur principale raison? Ils ont été plusieurs fois refusés en tant que requérants d’asile et tentent de travailler en Suisse ou de voyager en Europe malgré tout.
Pour débusquer les contrefaçons, ces gardes-frontières se tiennent particulièrement à jour sur les nouveaux détails techniques des passeports de tous les pays. Ils sont les leaders suisses dans la qualité du contrôle des passeports. Une vérification qui ne se fait pas uniquement à la douane avec des machines spécialisées, mais aussi dans le train, où les gardes-frontières doivent être capables de repérer en quelques secondes un faux passeport avec les moyens du bord.
«C’est d’abord l’instinct et les capacités personnelles du garde-frontière à remarquer des attitudes louches qui permettent le contrôle» explique Davide Bassi.
Une personne qui présente un faux document ou qui n’en possède pas est fouillée, et ses empreintes digitales sont relevées. Parfois, les gardes-frontières mettent la main sur des criminels dangereux recherchés. «On ne sait jamais qui on a en face de soi» déclare Davide Bassi, s’assombrissant en évoquant le souvenir pénible d’un «homme très agressif qui ne voulait pas donner ses empreintes digitales. On a su par la suite qu’il avait violé une fille de 13 ans en Italie.» Ce mois-ci, un criminel russe a été arrêté à la douane routière de Chiasso. Il était recherché pour assassinat.
Il y a aussi des histoires qui finissent bien, comme celle de cette Sri Lankaise abandonnée avec son nouveau-né par le passeur sur un sentier menant vers le Tessin en plein hiver. Les gardesfrontières ont pu recueillir les infortunés et leur donner nourriture et toit. La famille a obtenu par la suite le droit d’asile.
Faux passeport ou non, le nombre des requérants d’asile à Chiasso ne faiblit pas. Le Centre d’enregistrement et de procédure (CEP) en compte 600 par mois. Un chiffre étonnant car habituellement la plus grande affluence intervient en automne. A cette saison, «les gens qui ont travaillé en Italie pendant l’été, dans l’agriculture ou comme vendeurs sur les plages, remontent en Suisse», explique Davide Bassi.
Cette année, le taux d’immigrés est particulièrement élevé, notamment avec les réfugiés tunisiens à la suite des révolutions arabes. Ces derniers arrivent la plupart du temps sans aucun papier d’identité.
La majorité des requérants qui transitent par Chiasso sont refusés par l’Office des migrations à Berne, et sont renvoyés vers l’Italie, premier pays de la zone Schengen par où ils sont arrivés. D’où, peut-être, l’intérêt de tenter le passage avec de faux papiers.
A lire dans l'édition papier de cette semaine ou sur http://www.hebdo.ch/vague_de_faux_passeports_au_tessin_116123_.html
FRANC FORT Reportage au cœur d’une ville qui représente l’idéal suisse à l’étranger, mais dont le pouvoir d’achat des touristes est réduit face une monnaie locale qui s’apprécie.
LUCERNE Au croisement de ruelles, deux australiens et une chinoise discutent de façon animée du coût de la vie à Lucerne. Interpellé, Camille Jacob résume sa situation : «En Australie, tout est moitié moins cher. Je préfère dépenser mon argent dans mon pays». En face de lui, Panny, une femme menue, originaire de Hong Kong : «Je suis venue il y a dix ans, je pouvais acheter des montres. Maintenant c’est impossible», désaprouve-t-elle. Son ami reprend: «A midi, pour des sandwiches et une boisson, j’ai payé 25 frs. En Australie, je mangerais dans un quatre étoiles pour ce prix là». Les trois visiteurs reprennent leur route, en planifiant d’écourter leur séjour.
«Kappelbrücke», le flux touristique est pourtant incessant. Appareil photo en mains, des visiteurs du monde entier se pressent sur le petit pont de bois, afin de remporter un souvenir de ce bref séjour en Suisse. A Lucerne, le tourisme représente 8% du PIB de la ville. En 2008, celui-ci rapportait 1.1 Mrd de frs à la ville, selon les chiffres communiqués par l’Office du tourisme. En 2010, plus d’1.1 Mio de nuitées ont été comptabilisées. Un tel record sera-t-il possible dans le contexte économique actuel?
En ville, une nuit d’hôtel coûte en moyenne 153 frs par personne. Au Lion Lodge, une auberge pour les voyageurs, les jeunes se succèdent à la réception. «Au mois de juillet l’hôtel était occupé à plus de nonante pourcent», constate Ashrafuzaman Ratan, le propriétaire. Il observe toutefois une diminution des clients américains et, selon ses prévisions, celle-ci pourrait encore empirer: «Lorsque les clients américains vont changer leur argent, ils sont choqués. Ils réalisent que pour un dollars, ils ont moins d’un franc». Et les européens ? «Je pense qu’ils viennent parce qu’ils avaient déjà réservé», suggère le propriétaire qui adapte le prix de la nuit en fonction du taux de change de l’Euro. Une nuit en dortoir passe ainsi du 27 euros par personne annoncé dans le guide gratuit de l’office du tourisme à 36 euros.
Dans la vieille ville, Ingrid Michalitza, la réceptionniste de l’hôtel des Alpes, explique que la situation est encore stable. Mais elle se dit inquiète pour l’avenir : «Si l’Euro reste si bas, les gens vont annuler», indique-t-elle en jetant un coup d’œil à son écran d’ordinateur pour suivre le cour de la bourse.
Quatre francs le café, trois francs deux décilitres d’eau en terrasse, plus de cinq francs un latte macchiato, les dépenses vont vites. Quelle solution pour une famille ? Une maman et ses deux enfants admirent la chapelle de la vieille ville: «Nous savions que c’était cher, mais la Suisse est si jolie», confie Kristin Sophia Benedict. Pour faire des économiques, ces allemands logent à quelques minutes en train du centre et partage la location d’une maison. «Et nous n’allons pas au restaurant», sourit la maman. Le budget pour la famille ? Environ 800 frs pour dix jours, répond-elle.
L’IMPORTANCE DES TOURISTES ASIATIQUES. A Lucerne, selon les chiffres de l’office du tourisme, les voyageurs en groupe représentent 26% du tourisme annuel. A quelques rues des cars, des groupes de voyageurs chinois, indiens et japonais découvrent les lieux. Bons clients, ils aiment acheter des produits suisses: «Les montres qui sont faites ici coûtent moins cher que dans notre pays», indique la thaïlandaise Suthirat Yoovidhya, qui voyage en groupe.
Au cœur de la ville, une vitrine laisse entrevoir un magasin de souvenirs dans lequel les touristes fourmillent : «Nous avons une saison fantastique. Mais nous avons naturellement peur de la montée du franc suisse», confie Robert Casagrande, propriétaire du magasin du même nom. En cas de baisse de vente, quelle serait la solution ? En ce qui concerne les montres, les couteaux et le chocolat, le gestionnaire indique ne pas pouvoir baisser les prix : «Nous les achetons en francs suisses», explique-t-il. Mais d’autres objets, tels que les coucous en provenance d’Allemagne, pourraient quant à eux connaître une légère réduction.
Cette prospérité ne fait toutefois pas l’unanimité. En face du fameux Lion, monument aux morts admiré par des centaines de touristes, une petite boutique connaît des temps difficiles. Entre quelques bibelots et autres souvenirs, des panneaux annoncent des réductions: «Les gens n’achètent que de petites choses, ils ne font que passer», indique le propriétaire du lieu après quelques réticenses. «Les touristes sont là, mais qu’est-ce que vous voulez faire si l’Euro et les dollars sont bas», complète sa femme.
LUCERNE, PRODUIT DE LUXE. Le directeur de l’office du tourisme de Lucerne relativise la situation actuelle. A ce jour, une baisse de 0.2% est observée pour les nuitées hôtelières en Suisse, mais à Lucerne durant ces mêmes si premiers mois de l’année, une hausse de 5.3% est mesurée. Il confie toutefois que c’est un «challenge» pour la ville et le canton. La solution envisagée ? «Nous devons nous positionner comme un produit de luxe, explique-t-il. Il faut plus cibler sur les personnes qui sont moins sensibles aux prix».
Un discours en résonance avec la stratégie du Palace de Lucerne. «Nous ne voulons pas nous lamenter, nous mettons en avant la qualité de nos offres, explique Ina Bauspless directrice de la communication pour Victoria-Jungfrau collection. Les clients savent ainsi ce qu’ils ont pour leur argent».
Idéal suisse encore accessible, Lucerne pourrait devenir le symbole d’un eldorado réservé à quelques privilégiés.
Plurilinguisme. Ce village grison de 200 âmes, est le point de rencontre d'une multitude de langues.
Alissa trône sur les genoux de sa mère. A tout juste sept mois, les paris autour de son premier mot vont bon train. "Elle m'a appelé 'nonno'" affirme Giancarlo Torriani, son grand-père, avant d'être couper par sa fille Giovanna: "Certainement pas, ça sera d'abord 'mama'!"
Hors mis la personne qu'elle nommera, nul ne sait la langue que la petite choisira. Dernière-née d'une lignée d'hôteliers, elle aura le choix entre l'allemand de sa mère, le portugais de son père, l'italien de son grand-père, l'anglais de sa grand-mère et le romanche parlé dans la vallée.
Giancarlo va se tirer un café derrière le bar. Il est sur le point de déscendre à Savognin, chef-lieu de l'arrondissement de Surses. "Plus bas je parle le romanche de la région de l'Oberhalbstein, c'est-à-dire le surmiran'", explique-t-il en suisse-allemand avant de données des instructions à un employé en italien.
Comme la plupart des villageois, ses ancêtres viennent du Bergell, l'une des quatre vallées des "Grigioni italiani". Prenant un ton solennelle Giancarlo raconte: "D'abord ils venaient sur cette montagne avec leur troupeaux pour la transhumance. Au fil des années il se sont sédentarisés et ont construit le village qui est le seul italophone sur le versant nord des Alpes." A son grand regret, la langue allemande est en train de se substituer à l'italien, parlé traditionnellement dans le village.
Italien en perte de vitesse
Le chancelier communal Luzi Giovanoli le confirme. Debout dans un guichet entièrement vitré, il ne peut que constater le retrait de l'italien: "C'est au nord du canton que l'on trouve le plus de travail d'une part et de l'autre nous perdons le contact avec le Bergell italophone. Mon père connaissait encore toute la parenté."
Toujours dans le flambant neuf "Municipio", mais à l'autre bout de la pièce, Nathalie Carisch distribue prospectus et cartes géographiques au centre d'informations touristiques. De langue maternelle allemande, elle est venue travailler dans la région pour le tourisme qui est la première source de revenu au village. De son expérience, ce sont surtout les Suisses-Alémaniques et les Allemands qui passent dans la région.
La transition se fait progressivement. Quelques années auparavant le protocole de l'assemblée communale était encore écrit en italien. Aujourd'hui il est uniquement téléchargeable en allemand sur le site de la commune. Ce qui incite deux internautes à se disputer sur Wikipédia quant à l'exclusivité de l'italien en tant que langue communale.
Langues officieuses
Côte à côte avec ces deux langues majoritaires vivent quelques familles qui pratiquent le romanche. Angela Cortesi, tenancière du magasin "Volg", le parle avec ses enfants à la maison. Pourtant elle ne vend pas le "Posta Ladina", journal romanche d'Engadine: "Les gens y sont abonnés. Je n'arriverais pas à en écouler assez ici", explique-t-elle dans un allemand aux consonances italiennes.
Plus récemment, c'est le portugais qui a fait son entrée dans la communauté villageoise. Aussi ce n'est pas rare que l'on entende des hommes se saluer d'un "bom-dia" dans la rue. Nettoyant la bouche d'Alissa à l'aide d'un mouchoir, Giovanna explique que s'il y a encore des enfants à Bivio, c'est grâce à eux.
Elle-même mariée à un Portugais, elle voit cette immigration d'un bon oeil: "En plus voyez-vous, ma mère est anglaise." Leur première fille qui a déjà cinq ans maitrise parfaitement la langue de son père. Sur la quinzaine d'élèves de sa classe bon nombre sont lusophones: "A la récré, certains enfants parlent portugais entre eux. Peut-être qu'un jour le village sera une enclave portugaise!", ajoute la jeune mère en riant.
Gare CFF SNCF, Bâle. Montez à bord du tram 11 direction "St. Louis – Grenze", patientez approximativement 20 minutes, et vous avez déjà quitté le territoire Suisse. Si je ne m'abuse, la frontière franco-suisse à Bâle est la seule qui représente aussi une frontière linguistique. Pour fixer le moment crucial de mon voyage j'ai donc mitrailler cette incarnation de mon fil rouge: Les frontières des langues.
Les frontières sont difficiles à décrire en mot et en images. Où s'arrête une entité? N'est-ce pas là toute la condition humaine, le faite de se délimiter du reste du monde? En matière de langue cela n'est pas clair. Rares sont les lieux où les langues se relaient d'un côté à l'autre d'une frontière. La réalité des frontières linguistique ressemble plutôt à une osmose progressive, un enchevêtrement complexe car Benoît parle aussi allemand et Beat sait s'exprimer en français...
Il n'existe donc pas de code binaire pouvant distinguer un individu comme appartenant à l'une ou à l'autre communauté linguistique, à l'une ou à l'autre culture comme le serait un passeport par rapport à la nationalité (sans oublier les binationaux). C'est là que j'ai de la peine à concevoir la Suisse en tant que nation. A mes yeux, elle n'est que frontière; entre les cultures, les grandes nations européennes, les langues. L'identité commune des Suisses est passablement artificielle, le produit d'une bonne politique d'intégration au fil des siècles. Ou pensez-vous qu'un armailli gruyèrien ait le même "horizon culturel" qu'un citadin de Bâle-Ville? Il y a 500 ans certainement pas et même aujourd'hui, j'en doute.
Assez philosophé pour le moment. Que ce soit à Genève ou à Schaffhouse, lorsque l'on traverse une frontière ce sont surtout les petits détails qui sautent aux yeux. Moi ce qui me donne l'impression d'avoir changer de pays c'est la boîte aux lettres française qui ne semblent pas avoir été modifiées depuis la dernière guerre ou les trottoirs en béton rouge, voir les lampadaires en acier peint en vert ou même le panneau triangulaire du "cédez le passage", qui n'est pas le même en Suisse. Ces petites choses quoi.
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